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Journal d'une femme artiste en temps de pandémie (3 de 4)

Dialogues

Journal d'une femme artiste en temps de pandémie (3 de 4)

nelson mederik

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Mi-mai 

Je me réveille chaque matin, de plus en plus conscience de mon ventre et du fait qu’il contient un humain. J’ai encore besoin de me le répéter plusieurs fois par jour. Je ne veux pas non plus me leurrer d’idées toutes faites. Je veux me faire ma propre observatrice de la chose et m’avouer mes peurs, mes incertitudes, mes incapacités, mes feelings, mes émotions soudaines et inexplicables. Je me réveille de plus en plus tôt, comme si je me préparais déjà à briser le sommeil, à accueillir un visage au petit matin.


Je regarde le tracer sur mon ventre, au-dessus et au-dessous du nombril, une forme d’arbre remplie de branches et de racines. Comme si mon corps, lui, savait exactement où se trouve le lieu de création. Depuis 6 mois de ma vie, déjà, je crée quelque chose avec tout ce que je suis et en même temps, je ne sais pas toujours comment m’impliquer dans le processus.


Je tente de rattraper le temps que je n’aurais plus, une fois l’enfant née. En même temps, je me retrouve fatiguée de la création physique et psychologique en cours.


Je tente le rattrapage, je le prévois, et se manifeste en moi une sorte de compétition plus ou moins malsaine que je tente de mesurer, de réfléchir et à l’intérieur de laquelle me positionner. À travers ce qu’on m’a inculqué, le désir d’actions, de réalisations personnelles et artistiques et dans l’optique d’une vie que l’on m’annonce chargée, où il me faudra faire le don complet de moi. Je tente de prendre de l’avance. 


Au cours des trois premiers mois, comme je le mentionnais dans mon texte sur le processus de création de l’exposition <<Îles>>, j’ai souffert et mon être artiste (cette part de moi que je chéris) a souffert beaucoup lui aussi.


D’abord, je ne ressentais plus rien. Plus rien de rien, en dehors de l’anxiété provoquée par le flux hormonal, les désagréments physiques et les vagues d’incertitudes.

Puis, ne me reconnaissant plus, je ne savais plus poser un geste créatif. En perte complète de mes repères, je ne pouvais plus m’engager et m’abandonner à la création. Je n’étais plus disponible. La création est, par excellence, ma bouée de sauvetage depuis toujours. C’est aussi ma manière d’être, d’exister, de respirer et de me mettre moi-même au monde. Pendant plusieurs semaines, cette absence de moi, souffrante, souffrante. Si j’ai tenté de le dire, je sais que tout ceci reste tabou. Mon être artiste en péril. Pas que la femme, la vie tronquée d’incertitudes, mais cette part de moi, l’être artiste, qui me donne sens et consistance, elle ne savait plus être, je ne savais plus la ressentir, la quérir, l’amadouer, m’en approcher. J’ai tenté des solutions. J’ai continué d’écrire les pages du matin. Je me suis retournée vers les livres en me procurant Journal de la création de Nancy Huston et un nouvel exemplaire de Libérez votre créativité de Julia Cameron, ouvrage précieux que j’avais perdu dans le cabinet d’un docteur ou sur le siège d’une navette de métro ... quelques mois plus tôt.


Nancy Huston, avec son récit de grossesse et de réflexions sur la création, dans ses trois dérivés (création du corps, création par l’Homme et création artistique (littéraire), m’a réchappé, m’a aidé à sortir de ma torpeur et m’a redonné le souffle nécessaire à la suite des choses. Elle a préparé le feu, en ramassant les bois secs, jusqu’à ce que les flammes remontent. Ne me reste désormais plus qu’à continuer de nourrir ce feu.


Depuis des années que je me suis tournée vers les arts visuels, pas par dépit, oh non, les arts visuels sont pour moi un langage primaire, un langage maternel, naturel, mais parce que je ne connaissais pas mon langage littéraire, il me fallait le chercher pour le trouver, autrement l’écriture était trop souffrante et j’avais tout de même besoin de créer. Et les arts visuels arrivaient avec son lot de liberté, un grand océan, où me baigner année après année, sans jamais sentir le besoin de me demander si ça risquait un jour de s’arrêter. Oui, bien sûr, j’ai traversé plusieurs étapes de doutes et de recherches, de batailles avec moi-même, etc., mais toujours avec l’assurance que c’était le lieu d’un flux constant et inébranlable. Mais quelle surprise lorsque je me suis retrouvé face à l’immobilité complète et à ce vide opaque face à ma création visuelle.  C’est là que j’ai compris que rien, jamais, ne me serait réellement acquis. Il m’a fallu chercher et tâtonner, pour permettre à une nouvelle route de jaillir.


Je trouve nécessaire de partager ce type de réflexion, parce que de mon côté, je me suis retrouvée très seule dans ce côté sombre d’un début de grande aventure humaine. Quand le corps et la tête, mais aussi, quand la créativité prend vacances, que reste-t-il ? Vers quoi, qui, comment me tourner, me retourner ?


Alors, Nancy Huston et Julia Cameron.


En débutant à la librairie, sur Saint-Denis, comme librairie l’été dernier, j’ai rapidement remarqué l’ouvrage de Nancy Huston, Journal de la création. L’essai littéraire et créatif avait tout pour me plaire. D’abord, c’était un journal ! Puis il parlait de créativité ! En ouvrant les premières pages, j’ai lu que l’autrice avait débuté l’ouvrage lors de la fin du premier trimestre de sa deuxième grossesse, au moment où, avec un peu de chance, le fœtus risque d’être bien accroché et de se rendre jusqu’à la fin du parcours. Durant l’été, commençait à planer l’idée de devenir mère, mais tout mon être n’y était pas encore. Je le répète encore, mais pour moi, devenir maman, revient à vivre une expérience et à choisir que celle-ci prenne place dans toutes ou quasiment toutes les sphères de ma vie, mais en contrepartie, ce n’était pas une nécessité pour moi de le devenir. Je sais exister à travers ma création et mon regard sur le monde. Mais voilà, j’ai décidé de plonger, et malgré mes peurs, il n’y a plus de retour en arrière et donc, chaque jour, je prends et tente de prendre le temps de devenir, avec ce qui se manifeste en temps et lieu.

Donc, durant la crise des premiers mois, j’ai repensé à cet ouvrage de Huston, magnifiquement illustré par l’artiste Georgia O’keeffe, ainsi qu’à celui de Julia Cameron, qui déjà, est un allié, pour moi, un ouvrage de référence, depuis des années. Si j’avais du mal à lire, à réfléchir, je suis entrée tête première dans Journal de la création, ne m’attendant pas du tout à y trouver un ouvrage de ce type. Écrit vers la fin des années 80, Huston, comme je l’écrivais plus tôt, narre les six derniers mois de sa deuxième grossesse (création), en créant le pont vers 1- la création de l’Homme (ses fictions, tant pour ce qui est de dieu, que pour son autorité patriarcale (essai féministe!) et 2- vers la place de la femme écrivaine dans une relation avec un autre écrivain ou comment elle obtenait rapidement une place aux assises fragiles, violentés et ostracisées.


Cet essai a permis à la colère et à la passion de renaître à travers moi et de redonner, justement comme je le disais, manière à remettre le feu en flammes. Pour ainsi faire repartir la machine à pensées, à ressentir et à créer.


Mon ventre bouge, je sens les coups pulser des profondeurs de moi, avant de se manifester sur l’horizon courbé.


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Ce que je tente de dire, de partager avec ce texte, dans l’aube de mai, avant même de boire mon premier café, c’est que mon rapport à ma création est aussi mouvant que tout le reste. Et qu’étant mouvement, je dois m’adapter à lui, autant qu’il s’adapte à moi. Je tiens aussi à nommer certaines choses, que j’aurais aimé lire au début de l’aventure vertigineuse qu’est celle de devenir mère. Qu’on ne me vende pas qu’une seule image, celle d’un bonheur irréversible et absolu. Qu’on me montre aussi d’autres réalités. Celles de femmes comme moi, qui se réalisent dans l’art de créer au quotidien.


Ce que j’ai fait aussi, pour me redonner du pep, c’est une recherche de femmes artistes inspirantes. Un matin, à la librairie, j’ai servi l’autrice et réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette et ce calme et cette énergie puissante qu’elle respirait m’a redonné confiance. Il me fallait de nouveaux modèles. Alors, je me suis mise à en chercher, simplement pour me dire que ça se peut être artiste et mère et même artiste prolifique et mère. Ces deux rôles sont compatibles. Je ne suis pas irrémédiablement fixée à l’un ou à l’autre, parce que j’accepte consciemment un rôle que l’on <<attendait>> de moi, je reste moi, et je resterais moi, à travers ce nouveau titre. Voilà une certitude que je nourris.

Anaïs Barbeau-Lavalette, Patti Smith, Isadora Duncan, Mélodie Vachon-Boucher, Véronique Côté, Catherine Dorion, Sylvia Plath (malgré tout, elle oui), etc., etc.. Il en existe une tonne et ce sont toutes de superbes femmes inspirantes et puissantes. 


Je sais que les choses changent et qu’elles changeront drastiquement encore et encore. Je rame sur ces nouvelles vagues. Pour l’heure, j’apprends à réaliser mes buts créatifs, tout en apprenant à recalculer mes attentes envers moi, pour entendre et être à l’écoute de ce qui se manifeste dans l’instant. Le désir d’aller au bout de tel projet, versus la nécessité de m’octroyer une sieste. D’ordinaire, c’est déjà extrêmement difficile de concilier vie et art, art et vie, sur certains points plus que d’autres, mais j’ai l’habitude, alors je poursuis ainsi.


Je crois définitivement qu’une des plus grandes richesses dans le fait d’être artiste, c’est exactement cette capacité et cette force à savoir tout réinventer encore et encore et à jouer avec tous les possibles.


Depuis le début du confinement, de la pandémie, je suis déjà passé par plusieurs étapes d’alliage vie-art, art-vie. Je suis prête à poursuivre. En créant, en m’écoutant. En me restant fidèle, en acceptant les changements qui s’effectuent en moi et autour de moi. Je tente de prendre ce qui est, ce qui vient. Tant les surprises, que les tempêtes. 

Je nourris le feu, je repose le corps, je prépare le nid.