Le mouvement de l’immobile
d’une voix tendre
épuisée
j’appelle le poète
mes secousses restent provisoires
j’ai la haine des manèges
je cherche le sens
aux arbres nus
les règles dans la tête
un flux inconstant
de rivières matérielles
l’atmosphère te rend impudique
dans tes allures de feu
pourtant toutes les feuilles
tombées par-terre
forment un nouveau lit d’ecchymoses
dans les deux cas
il n’y a plus aucune trace
*
je t’écris :
d’abord,
c’est de l’histoire entière
qu’il s’agit quand je te regarde
rien qu’un bout
de tes ongles sert à agrandir
l’espace
qui trop souvent se tient
dans des linges minuscules
posés là
sur mes paumes inquiètes
je ne parlerai pas de toi
comme du seul champ
possible
mais le monde en est un autre
depuis tes airs
regarde regarde
là-bas
je sens l’âme de Don Quichotte
de la manche
c’est sous les moulins à vent
qu’il s’est cherché
une musique
aussi grande
que ses envies d’exister
là-bas
les pales des éoliennes
transforment le paysage
voici d’immenses fleurs blanches
elles tournent et tournent dans le vent
ici,
le territoire semble silencieux
ici,
s’il a plu
c’était il y a plus de mille ans
plus de 10 ans
c’est encore une neige fondue
un glacier
c’est un morceau de lune
c’est ce jaune que nous renvoie
le soleil
sur les peaux basanées
du voyage
ici, les gens mangent
dans leurs cabines éphémères
ici, le huis-clos est mouvant
la trame sonore change
les secousses viennent de loin
j’attrape le poète
cherche le rythme
j’invite des gens à venir voir avec moi
la nudité des arbres
le tapis dense des sous-bois
l’envolée des oies
la longue traversée de la pointe
*
le bon son
la fréquence parfaite
la définition de la structure d’une forêt naturelle
je respire
les morceaux de poivrons rouges qu’a délicatement découpés
une femme
la trempette légèrement fromagée
les pelures d’une clémentine
le gel antibactérien
au parfum de lys
j’entre
un village se tient debout
dans les maisons en éveil
as-tu déjà goûté le fromage salé de la Fromagerie des Basques
la vie est injuste quand on ne s’y aventure pas
le fleuve s’agrandit
l’île verte s’étend
les souvenirs s’infiltrent dans le décor
tout est sans cesse à reprendre
entre les doigts
comme si tout
coulait
entre les doigts
des rubans
très doux
d’autres coupants
je prends le pari
de ne revenir qu’au moment
où toute l’eau de la mer
aura traversé mon corps
je serai alors une église de village
sans être moisissure
seulement
pour voir plus loin
faire résonner mes cloches
le dimanche matin
et tous les autres jours
et jouer de l’écho
mes drames romantiques
*
sur le fleuve
calme calme et gris
les bateaux sont déposés
par des bras trop grands
pareils à des îles
qui vont et viennent
entre les lignes définies
la route de l’eau
d’où viennent nos chemises
nos lunettes
nos assiettes
nos imperméables
regarde regarde
un homme a enroulé les foins
les vaches auront de quoi mastiquer toute la saison froide
ici, on a fait un trou dans la montagne
même ici
même ici
les objets de métal que nous animons
nos bras de robots
capable de pendre les arbres par les racines
je marque le paysage
je n’ai pas la bonne musique
qu’écoutes-tu à la surface de la pluie
qu’écoutes-tu
dans tes chairs de douleurs
j’ai pris dans mes yeux
un bouquet
d’arbustes
pour en faire
des pulls et des pantalons
une érablière dans les cheveux
beaucoup de bagels
et une compétition
de laquelle personne ne sort gagnant
ces batailles où l’on grandit
ici, les rocheuses entourent le paysage
je cherche des mots neufs
pour parler des hommes et des femmes
qui planent sous des draps blancs
je cherche des images pour nommer
le silence que laisse l’autre
quand il n’est pas présent
quelle saveur a l’herbe que je rumine
quel paysage est le plus beau
préfères-tu l’effet sauvage
aux plantations calculées
aimerais-tu sortir danser sous la pluie?
même froide
même si elle avance les heures
où les recule
sur ta montre
je prends une pause
le centre de contrôle
cherche cherche
la dislocation des verbes amoureux
une autre ligne pour nommer l’imprononçable sensation de celle qui reste
de celui qui reste
*
je n’ai plus sommeil
c’est une histoire ancienne
*
mais d’abord
je vais te parler de mon rêve
comme Lucile Ryckebush
dans l’incipit de son roman
Le sang des pierres :
D’abord, je vais te parler de mon rêve, c’est avec lui que tout commence.
parce qu’il m’obsède
pareil à une note de musique très précise
je te demanderai de faire pareil
pour que nos rêves tiennent ensemble
dans ce bungalow blanc
abandonné
au centre d’un champ d’agriculture
Jean-Michel Blais croise ses mains
au piano dans le creux de mes oreilles
et l’autobus descend et monte des pentes
nous approchons de chez mon amie Andréanne
Le Bic
ses maisons tiennent sur pilotis
se tiennent en affront à l’île aux amours
c’est chez elle que l’automne se met le plus beau
dans le rêve
je suis une femelle oiseau
dans ma peau de madame
je rêve nue
pourquoi porter des tissus
et perdre toute la légèreté
de l’innocence
puisque anyway chacun et chacune
tiennent dans leurs mains
leur obsédante naïveté gazeuse
c’est une fête
je n’y prends part
que par les yeux le cœur
je me faufile
une très grande et très grasse souris
j’aime tenir ma peau entre mes mains
comme si cette douceur pouvait aussi m’appartenir
au revoir Le bic
au revoir
au revoir mon amie ton amoureux et l’île aux amours
au revoir
et le théâtre au revoir au revoir
dans le rêve
outre les pelures roses de ma peau je transporte un pot rempli de terre
dans lequel tiennent des plantes
la terre est sèche
les plantes meurent doucement
je cherche la liqueur inodore
qui saura nous ramener toutes à la vie
il n’y a pas que la chaleur de tes épaules sous mes lèvres
pour me donner à boire
comme sous une chute africaine
même si
l’espoir me fait continuellement boire
aux souvenirs
trop souvent éthérés
de nos heures passées ensemble
*
le sais-tu
que je pourrais
sans peine
fixer la feuille d’un arbre
sans m’ennuyer
pour tes yeux
tout reste incomparable
je ne l’explique pas
j’offre l’inquiétante incertitude
aux dimensions abstraites
du cœur
*
Allô Rimouski
allô
d’en haut
tu ressembles à une époque ancienne
d’en haut
je te reconnais très bien
d’en haut, rien n’est plus beau
que ce dessin : la ville, l’île et l’autre côté du fleuve
les terres parallèles
une trilogie
*
et la seule phrase qui me vient :
que penserait mon premier amour
ma première violence
s’il me voyait
combien d’année depuis le dernier contact?
*
arrêt jusqu’à 15h-15
me rappeler
qu’un double meurtre d’enfants n’est pas un drame familial
me le rappeler jusqu’à tenter de le cracher correctement
de trouver la ligne conductrice
pour tisser l’idée qui part du corps
qui parle du monde
chercher l’impact
d’abord
dans ma réflexion au monde
puis dans l’entrelacs des mains
à une table
se font face un homme et une femme
au milieu de la table
sa main droite et sa main gauche
au milieu de la table
se tient l’image d’un lien
*
mes seins brûlent
et pendant ce temps
pendant que j’attends mon végé burger
je me demande
si ce n’est pas
par les hommes
que j’apprends mon corps
plus que par mes sœurs
je me demande
qui étaient ces femmes que l’on appelle grand-mères
en dehors de leur rôle
d’épouse et de mère
*
regarde
comment l’eau
se faufile
dans ma gorge
comme ce qui naît entre toi et moi
si j’étais ce que je prétends être
tu aurais déjà reçu
pour le creux de tes songes
ces particules
qui font l’air moins viciée
l’air à lui seul
me fait émettre des fréquences
d’enfant
tour à tour
se transforme
le paysage
en douce chanson
les paroles à demi éventées
le silence ne plane jamais vraiment entre les canards et les goélands
*
elle a deux ans et demi
elle s’appelle Emma
elle voyage avec sa grand-mère maternelle
elle a des cheveux blonds
nous regardions ensemble
les oiseaux voler
aux dessus des îles
nous quittions simultanément
une ville pour la pointe
nous étions toutes deux
des enfants
avec un monde à interpréter
elle chantait
j’écrivais la poésie
*
je me souviens
que j’aime d’amour
les rochers
qui émergent de l’eau
sur la longueur du fleuve
un jour, j’aimerais te montrer la Gaspésie
par nos regards communs
emprunter les routes de tes images
te montrer les miennes
il faudrait tenter de tout voir
mais tout ne se révélerait pas
car le mystère
provoque un déluge de renversements systémiques
la beauté est incroyable
au cœur des ombres noircies de brume temporaire
*
j’écrivais déjà :
j’aurais voulu tout réécrire
et je dépose une pierre après l’autre
avec mon pinceau et l’acrylique
une ligne
une tâche
l’imprécision
des dangereuses beautés
je trace les lisières
pour les apprivoiser mieux
je n’ai plus de chaînes
tout ce qui est est coulisses
et ramures
je voudrais te le dire au coin du corps
dans le murmure
du désir flagrant
mais dépossédé de lui-même
l’abandon
à la forêt
des arbres parleurs
viens, viens me voir
que je caresse chaque point de ta peau
que j’en pétrisse l’argile
les muscles sacrés
*
voilà
qu’au lieu de nos mains
des oiseaux s’épanchent sur nos nuques
pour nous tenir libres
entre les pays
voilà
qu’à force de chanter ta disparition
j’accroche des plumes
dans les franges sèches
des enfants mal-aimés
voilà
tu risques tout
au nom des murailles extravagantes
qui dérogent de nos corps légers
nos corps d’oiseaux
nos épaves sur le gravier
nos plages de mots tendres
voilà nos corps d’oiseaux
éperdus en langage nouveau
sur des rythmes
que j’espère moins stoïques
comme la chevelure d’un enfant tendre
d’un enfant qui rage
je boucle les boucles
autour de ton cou
je soumets toutes les fleurs
au poids sans mesure de mes âges sans toi
voilà on s’apprivoise sous la musique
voilà
on regarde le vert des pelouses
on a faim de revoir le clair sous l’ombre
de nos ailes ouvertes
voilà
voilà
une répétition vaine des amours
sans corps
voilà ma précipitation dans le ventre de la mouette
ton esprit de hibou
voilà voilà
nos mensonges sont des liqueurs crues
nos espoirs se mélangent aux mélèzes
voilà
nous perdons nos aiguilles
nos devenons pierre
nous sommes des résidus frileux
nous allons contre les vertiges
pour y plonger
tête première
tête et bec
et plumes
et je mange tes restes
et tu grattes ma peau sur les os
et je prends ta moelle pour un canevas de théâtre
voilà voilà
la corde se relâche
la musique s’introduit dans les têtes
nos voix sont graves sous la fumée
nous ne sommes plus
et pourtant
sur la grève
roulent
nos carcasses
précieuses
offrandes
au sacré ciel
des aurores boréales
voilà voilà
on ne s’atteint plus
on se manque
on se mange de l’intérieur
on se désir
nous n’avons plus de mains
nous n’avons que les yeux au bout de nos ailes fanées
voilà voilà
on est arômes
on est vagues
amoncellement froid de roche
voilà
comme il est animal de se dévorer le cœur
par le corps
*
une tache
de sang
et tout est si parfaitement bien emboîté
la péninsule de ces graves délires
nous oublions le risque
le premier grand décalage
par surdose
d’attente
*
un enfant est déposé sur ton ventre
tu es vieille depuis si longtemps
ces regards ravalés comptent finalement
*
on a rentré nos ventres
avant qu’il soit trop tard
avant l’hiver
et la prochaine éclipse
nos ventres durs
nos ventres doux
ces inclinaisons douteuses
les provocations sinueuses des amours naissants
on a vidé les pots
déposé la terre sèche entre nos orteils et sous nos langues
les plantes
et nos rêves attendaient
que vienne danser
l’air froid
les mêlées
de chairs
d’arbrisseaux
et de fleurs à fruits
on avait dans la chambre
nos cœurs de grands
pour les souhaits d’adultes
et ces sensations d’enfants
assaillies d’interdictions
nos dos étaient
de fer
des armures
pour contrer
le feu jaillissant
des volcans trop durs
avec pour seule affection
cette eau
coulée
sur les feuilles maussades
de nos bouches
nos orteils dans les pots
nos mains dans la terre
cette bouche
la tienne
surprise
dans le soupire sérieux et calme
d’un respire humide
on est géants
au sortir de la réclusion
pour mener la course
au sommet des montagnes
tu me demandes encore
si les larmes qui glissent de moi
sont un symptôme
de la montée des eaux
et je ne réponds pas
on a assez de silences pour habiter
avec toutes nos maisons sur les épaules
et nos délires en contre-bas
te regarder me regarder
et remettre en terre
les fleurs
et sous les racines
nos plus beaux baisers
*
j’attends que la fin du jour
ramène
des corps
un silence de jadis
*
elle se tient partout
jamais atteinte
d’aucune ombre, la jolie proie fragile
elle est masure
et sa circonférence
est les territoires insulaires
dans l’ombre qui descend sur son visage
certaines traces
plus vives que les autres
brillent
ce sont les écorchures
les traces du verre cassé
elle remise les lucioles
les fleurs séchées
et les regards
dans des bocaux transparents
tous lui jettent des airs réprobateurs
ses cils
jadis longs comme
des rivages abandonnés
s’entassent
sur la ligne
de ses paupières en fuite
elle se tait
sa parole
davantage des chansons
que des complaintes
n’a de macabre
que les refuges voulus silencieux
le monde est au bavures
quand nous perdons le fil
de nos battements de cœur
c’est à croire
que toutes les rivières ne coulent plus
que les arbres ont cessé leur grande montée vers le ciel
que tes mains oublient la texture des miennes
c’est à croire
que mon volcan brûle la forêt de mes rêves
et tes peurs renversent les glaciers de Terre- Neuve
dis-moi
dis-moi
saurons-nous aimer
l’atmosphère
de séduction grave
comme la glaise trouvée
sous le sable
par-hasard
saurons-nous voir
sous le vacillement du soleil
les peaux de nos sœurs de nos frères
comme nous,
des enfants de jadis
enfoncés dans les commerces des âges précis
des bocaux
elle sort les bijoux
les étend autour d’elle
cercle protection spasme
incantation
elle s’amuse
à te reconstruire
te donne vie
à chaque levée du rideau
regarde regarde regarde
le monde est un spectacle
il faudrait peut-être répéter
que confondre
l’éternité et nos bouches
ne nous mènera jamais à cette ligne fragile
tenue
entre l’eau de mer et le sel de tes pieds
*
il y 60 ans Rosa Parks
refusait
de céder
sa place
dans l’autobus
*
Emma me demande :
et toi, tu as un bébé dans ton ventre?
je dis : non, pas encore. Peut-être bientôt.
*
savoir que
tu es poète
avant d’apprendre
à aligner les mots
27 octobre 2019
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