L'hiver en poésie ou l'éloge du silence
nelson mederik
L’hiver en poésie ou l’éloge du silence
Pour participer à cette création, il faut accepter de flotter, nous aussi, comme les astres, dans l’inconnu ou le mystère. Il nous faut, nous aussi, accepter de créer sans cause et sans raison, pour le pur plaisir, la pure splendeur et la pure terreur de créer sans destination et sans but.
Pierre Bertrand, Pourquoi créer ?
Cette période de ma vie, dans la petite maison sur la montagne, tire à sa fin. Je tente le plus possible d’habiter et de goûter chaque instant qu’il me reste, tout en me préparant à l’ailleurs et à l’inévitable deuil que je devrai faire en quittant les lieux. Ici, je suis chez moi. La maison est devenue, au fil des mois, la suite naturelle de mon corps, l’extension de mes membres, de ma pensée. Les arbres, mes amis, et le vent sur les murs de la maison, des bras venus me serrer très fort.
J’ai eu l’intuition que je devais m’installer ici pour la saison hivernale (automne, hiver, printemps) pour venir me rencontrer. Et c’est ce que j’ai fait. Je me suis rencontrée. Et pour préparer cette rencontre, il m’a fallu beaucoup de silence, de solitude, d’écoute, mais aussi de partage (lectures, correspondances, rencontres).
Depuis quelque temps, je tiens égoïstement à ma solitude et à l’écoute du silence (celui qui grimpe en poésie, qui se déploie, se dépose). Et étrangement, je tombe éperdument amoureuse de l’être humain, dans le même mouvement.
Retour à la source
À mon arrivée à Percé, non plus comme touriste local, mais plutôt avec mes yeux curieux de femme artiste, j’ai ressenti le désir, le besoin de prendre part au paysage, moi aussi, comme élément, un morceau du puzzle.
C’est ici que j’ai cherché à retrouver la genèse de mon existence. Je voulais me revoir à rebours, pour me recommencer. J’ai finalement compris que bien que la mémoire soit vivante et mobile, il est impossible de retourner en arrière. Alors, je joue à réinterpréter le passé en m’ancrant au quotidien.
Le retour à la source signe aussi un accès nouveau à la femme sauvage (libre et plus près de la nature). Connaître le corps, le laisser se déployer. Apprendre de nouveaux langages, tels que le mouvement dans la peinture, le jeu des mots dans la poésie, le corps qui danse dans la pièce, le vent, la pluie, les odeurs, la lumière et les éléments naturels omniprésents du paysage.
Percé est un lieu de forte attraction géologique. Je comprends les âmes qui s’y posent pour contempler, à la fois, le déploiement du monde, mais aussi tout ce qui se reflète à l’intérieur.
J’apprends à écouter les signes de mon corps. Je trouve que tout en se fragilisant et en déposant les armes, il se renforcit en choisissant des chemins nouveaux.
Le langage inné de la création
À l’automne, j’ai créé pour une exposition, une série de tableaux abstrait. Je m’étais alors donné comme défi de poursuivre le geste naturel extérieur au tableau, dans le tableau, et de déconstruire les habitudes (formes figuratives familières). Au fil de la création, j’ai bien compris (et accepté) que je ne pouvais pas obliger le tableau à devenir quelque chose. Je me prêtais alors au jeu. Je n’étais que l’instrument, guidé par le mouvement. Les pièces ressorties de l’expérience continuent de bouger longtemps même après la dernière touche de peinture.
J’ai lâché prise.
Ce que je n’avais pas encore atteint en écriture.
Et que m’impose l’écriture poétique.
Plusieurs années à travailler sur un roman, avec le lot d’incertitude et la difficulté de tenir le rythme. Je m’échappe dans l’écriture brève et poétique.
Mais encore là, je ne me laissais pas vivre le langage pour ce qu’il est. Je voulais encore le tenir, le guider. Jusqu’à ce que je laisse couler les mots, comme on laisse couler la vie de partout sans tenter de tout retenir. Le langage alors se déploie de lui-même dans l’espace.
Le silence, lieu invisible et intemporel
Vivre le moment présent ! N’est-ce pas ça le bonheur ?
Le silence – je trouve souvent les mots trop faibles pour dire ce qui, après tout, n’a peut-être pas besoin de mots, ou d’images - m’amène à vivre le présent comme jamais avant je ne l’avais ressenti. Le mot même, désignant le temps, n’arrive pas à la cheville de l’état dans lequel je me pose.
Si je peux emprunter les mots de Pierre Bertrand (je me retrouve dans ses mots) :
Nous sentons quelque chose, mais nous ne pouvons le mettre en mots, et si nous le mettons en mots, c’est devenu une représentation, une mise en idées ou en images. Le rapport immédiat à soi qu’est la vie ne peut s’objectiver dans un savoir ou un discours, et quand il s’objective, ce n’est plus la vie. La vie comme réalité immédiate se sent et s’éprouve, mais ne se représente pas. Pierre Bertrand Pourquoi créer ?
Les trois pages du matin et la marche quotidienne
J’ai inclus, dans mon processus créatif, depuis quelques années, deux trucs présentés par Julia Cameron dans le plus que nécessaire ouvrage Libérez votre créativité. Il s’agit des trois pages du matin et de la marche quotidienne.
L’écriture est ancrée dans mon rituel matinal et je ne voudrais pas vivre sans (il m’arrive de ne pas pouvoir écrire et j’en ressens rapidement les effets). Les trois pages du matin consistent en une écriture à la main, libre et sans censure de trois pages. Elle me permet de venir à ma rencontre et de m’accorder du temps avant d’entamer la journée dans tout ce qu’elle peut amener de chaotique.
À travers l’écriture, j’apprends énormément sur moi, mais aussi sur le monde. C’est une porte ouverte sur le vaste mouvement de la vie.
La marche quotidienne, aussi vitale que les pages du matin, me porte à la rencontre du monde. Je vis, dans chaque pas, le paysage. Je croise des animaux, des oiseaux, des maisons, des gens. Ce moment me permet aussi de nourrir et de remplir le puits créatif, cet endroit où j’irai ensuite puiser énergie et images pour créer et représenter le monde à ma façon. C’est aussi dans ce moment que se placent plusieurs idées dans ma tête.
Avez-vous, vous aussi, des rituels de ce genre ? N’hésitez pas à les partager avec nous.
BERTRAND, Pierre, Pourquoi créer?, Les éditions Liber, 2009.