Ce roman est mon grand coup de cœur de l’année!
Julie Hétu nous offre Baie Déception que j’ai eu l’immense intuition d’acheter au Salon du livre de Montréal le mois dernier.
Je suis encore habitée par cette histoire, de la confusion qui règne en moi, en nous sans doute, au moment de refermer les pages. Juste avant la fin, dans le livre, l’autrice nous suggère d’écouter les enregistrements de la mère, sur le CD d’accompagnement.
SVP, respectez la consigne! La mère du petit Isaac prend vie par la voix de Julie McClemens, son père décédé, par la voix de Patrick Hivon… ajout tellement précieux à la lecture de ce grand roman. La création sonore des pistes à écouter est du compositeur Simon Angell (du groupe de Patrick Watson). Je vous promets… vous serez conquis!
La tragédie de Baie Déception
Baie Déception, c’est une baie en forme de cuillère à laquelle s’accrochent des montagnes, formant un manche. Cette baie fait partie du détroit d’Hudson, au nord de la péninsule d’Ungava, dans le Nord-du-Québec. Si vous voulez élargir vos notions de géo, je vous mets le lien wiki juste ici.
Le roman s’ouvre avec l’explication sombre et mystérieuse de cette fameuse tragédie de Baie Déception, où l’école remplie d’enfants fut ensevelie par les immenses vagues de la baie. Aucun n’a survécu, sauf deux enfants, selon la légende. La mère et le père d’Isaac sont ces deux survivants.
Elle, cinématographe, recherche l’autre survivant pour son documentaire sur son village natal, et tombe amoureuse. Naîtra Isaac. Son père parti trop vite pour lui voir le bout du nez, avalé par la glace pas suffisamment gelée lors d’un voyage de fou que les amoureux avaient planifié en motoneige.
L’importance de la transmission des histoires, des fables comme une identité propre à soi
Isaac ne grandit pas avec sa mère (depuis le voyage de fou), elle n’en est jamais vraiment revenue. Elle perd la mémoire, c’est à cause de sa maladie qu’elle en arrive à oublier l’existence de son fils, ou l’appel à 3 h du matin en pleurant. Elle doit tout écrire sur des papiers sinon elle oublie. Et parfois, elle doit relire celui où c’est écrit : j’ai un fils. Isaac grandit donc avec ses grands-parents.
Parce que chaque famille a sa légende, chaque nom possède une signification précieuse… Isaac, comme tout préado, cherche la sienne. Les bribes d’histoires confuses, à mi-mots, à couvert, parce qu’encore trop douloureuses, ne satisfont pas Isaac.
On devine finalement que sa mère s’est suicidée, Isaac reçoit comme seul héritage quelques boîtes qui lui appartenaient. Quelques babioles sans réels indices pour lui permettre de se construire une identité plus forte… jusqu’à ce qu’il tombe sur le journal personnel de sa mère.
Perdant la mémoire, instable psychologiquement, avec une graphie laxe, Isaac parcourt les milliers de pages du journal de sa mère lui racontant tous ces moments de vie confus et brumeux où il n’a pas pu être témoin. Plus la lecture avance, moins Isaac se porte bien. Est-ce que les émotions lues peuvent t’atteindre à ce point? Est-ce que le manque d’histoires nous définissant peut nous rendre invisibles? Le voyage intérieur et familial que fait Isaac est grand, si touchant pour le petit préado qu’il est, avec ce discours si mature déjà pour son âge.
Lorsque, volontairement, on attente à la survie d’une culture, c’est à la survie du peuple, qui par elle se définit qu’on porte atteinte. Attaquer la culture, c’est pervertir la mémoire et, du coup, menacer la place qu’occupe l’Histoire dans notre quête de vérité…
… Entre la tradition orale et la fixité du papier s’incarneront les deux possibles qui nous gouvernent : d’un côté, un monde trop grand pour l’affronter où l’impuissance est fatalement intégrée au quotidien et, de l’autre, un monde qui demande à être repensé, changé et sondé, et où chacun peut devenir un héros, un rassembleur de porcs-épics en hiver.
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